Le premier roman de
David Foster Wallace
enfin disponible en
France
Salué par ses contemporains comme l'un des plus inventifs romanciers de sa génération, David Foster Wallace se suicidait l'an dernier, laissant derrière lui une oeuvre trop peu diffusée en France. Son premier roman est enfin traduit, vingt ans après sa sortie.
David Foster Wallace, ce sont les autres écrivains qui en parlent le mieux. Dans David Foster Wallace pour mémoire, recueil de textes écrits et lus par certains des meilleurs auteurs anglo-saxons contemporains en hommage à l’écrivain suicidé en septembre 2008 à l’âge de 46 ans, c’est plus qu’un tribute qui se dessine, c’est carrément une expérience mystique.
La présence de DFW ou de la lecture de ses livres dans leur vie ressemble à une expérience épiphanique aussi bien esthétique qu’humaine, intellectuelle qu’amicale, comme s’il s’était agi d’une sorte de prophète de la littérature. “Nous nous voyions peu, nous correspondions de temps en temps, mais chacun de nos rendez-vous me paraissait hyperdense, presque sacramentel, si l’expression n’est pas trop kitsch. Je ne sais pas grand-chose de la spiritualité de Dave, mais je le considère comme un grand écrivain américain bouddhiste, dans la lignée de Whitman et Ginsberg. C’était un artiste de l’éveil”, écrit George Saunders.
Zadie Smith, qui n’a jamais caché son immense admiration pour l’écrivain et son ambition d’un jour l’égaler : “Lire ce livre (Brefs entretiens avec des hommes hideux – ndlr), c’est comme être dans une église. Et le mot le plus important dans ce livre, ce n’est pas “ironie”, mais “don”. Quant à Don DeLillo, il commence par : “L’infini. C’est le sujet du livre de David Foster Wallace sur les mathématiques, la philosophie et l’histoire d’un concept vaste, beau et abstrait. Il est fait référence, dans ce livre, à la dichotomie de Zénon et à la conjecture de Goldbach, au théorème de maximalité de Hausdorff.”
Infinite Jest (1996), un volumineux pavé considéré comme le chef-d’oeuvre expérimental de DWF, n’a jamais été traduit en France – nous n’avons eu, jusqu’à aujourd’hui, pour faire connaissance avec ce monstre sacré de la littérature américaine, que deux recueils de textes en traduction, Brefs entretiens…, et Un truc soi-disant super auquel on ne me reprendra plus. Et quand DeLillo poursuit par “Il voulait être l’égal du vaste flux de la culture contemporaine, de ses dérapages et de ses babils”, il donne là le véritable enjeu de la littérature de Foster Wallace, à l’oeuvre dès son premier roman La Fonction du balai, enfin traduit en France aujourd’hui.
Vaste fresque aussi labyrinthique qu’un réseau téléphonique, cet ample roman broussailleux publié en 1986 annonce déjà internet et l’ère virtuelle, l’hypertexte et YouTube, dans sa construction pensée comme un enchâssement de fictions, de dialogues longuissimes (autant dire qu’il faut s’accrocher) comme des chats absurdes, de scènes qui existent à peine, seulement narrées entre deux protagonistes, de personnages qui nous semblent aussi éloignés que ceux d’un clip.
Car ce que crée l’écriture de DFW, c’est comme un écran, une vitre, un filtre entre le lecteur et les personnages. Au préalable, l’histoire tenait pourtant en quelques mots : la jeune Lenore, qui découvre que son arrière- grand-mère a mystérieusement disparu de son hospice avec vingt autres pensionnaires, se lancera à sa recherche avec l’un de ses fiancés. S’ensuit une version samplée
d’Alice au pays des merveilles à travers les Etats-Unis, un conte urbain et surréaliste de la solitude, constamment menacé par l’étrange.
A l’heure où virtuel et réel sont parfois si imbriqués, qu’est-ce qui prouve vraiment à l’être qu’il soit plus vivant dans sa vie réelle qu’en avatar prisonnier d’une “deuxième vie”, comme d’un purgatoire. C’est en effet à une expérience esthétique de la vie après la mort que nous convie David Foster Wallace. D’où, sans doute, son aura “spirituelle”.
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