fragments "Le Pas au delà"(1973)

Maurice Blanchot

(1907 - 2003)

Dans son dernier grand livre,Maurice Blanchot assemble une suite de fragments dont un grand nombre concerne la peur.

       
Peur, peur de la peur que rien de particulier ne provoque, sauf les nuits         sans sommeil, les journées sans éveil, désir de ce qui provoque la peur que rien ne provoque.
       
        "J'ai peur": c'est cela qu'il lui arrivait de l'entendre dire, à peine avait-il franchi le seuil, et ce qui l'effrayait, c'était la parole calme qui semblait ne se servir de "moi" que pour avoir peur.
       
        La parole calme, portant la peur.
       
        La voix sans voix, un murmure dont il ne savait, ne l'entendant plus,         s'il l'entendait encore, parfois vibration si aiguë qu'il en était sûr, c'était sur l'ardoise le tracement grinçant de la craie.
       
        Entre eux, la peur, la peur partagée en commun et, par la peur,         l'abîme de la peur par-dessus lequel ils se rejoignent sans le pouvoir,         mourant, chacun, seul, de peur.
       
        Ils ne disaient pas : "j'ai peur", mais "la peur",et aussitôt la peur emplissait l'univers.
       
        Quand il la traversait, la ville murmurait en lui constamment : j'ai         peur, sois le témoin de la peur.
       
        Quelqu'un qui a peur ne le sait pas, n'appelle pas au secours. –         "Mais c'est pour lui que j'ai peur, une fois et désormais toujours."
       
        Peur pour celui qui a peur, qui ne le sait pas : le centre effondré de la peur vide.
       
        Que la peur me laisse interroger la peur : "mais pourquoi tu as peur ?" – "Ne me le demande pas : j'ai peur." – "As-tu peur, comme cela, jusqu'à la peur ?" – "Tu me le demandes, tu n'aurais pas dû me le demander." – "Mais je le demande de la même manière que tu as peur : ma demande est ta peur."
       
        La peur : comme s'il se rappelait ce mot qui lui fait tout oublier.
       
        La peur, c'est ce don qu'ils nous feraient dans la ville posthume :la possibilité d'avoir peur pour eux : la peur donnée dans le mot peur ; la peur non éprouvée.
       
        "C'est vrai, j'ai peur." – "Vous le dites si calmement." – "Le dire pourtant n'apaise pas la peur : au contraire,c'est le mot qui désormais me fait peur ; l'avoir dit ne me permet plus de dire autre chose." – Mais 'j'ai peur', moi aussi : à partir de ce mot si calme : comme personne, comme si personne         n'avait peur." – "C'est tout le langage dorénavant qui a peur."
       
        Et nous ne faisions rien que répéter. La répétition nocturne, la répétition de celui qui dit : est-ce cela,mourir, est-ce cela, la peur.
       
        Est-ce cela, mourir, est-ce cela, la peur ? L'angoisse silencieuse,et ce silence, comme un cri sans mots ; muet, pourtant criant sans fin.
       
        Une double entente : le bruit de la ville avec sa richesse interprétable   et toujours prête à être nommée, puis le même bruit comme une rumeur d'écume, monotone, sauvage, inaudible, avec de soudains et d'imprévisibles éclats appartenant à la monotonie.
       
        En moi, il y a quelqu'un qui ne fait rien que de défaire ce moi :         occupation infinie.
       
        A celui qui a posé tant de questions, la mort vient doucement comme  la question perdue.
       
        La bouche douloureuse parlait paisiblement.


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