Mais ce jour-là, lors de son dernier concert donné à Chicago le dimanche 28 mars 1964, quelque chose s’était effondré dans le troisième mouvement de la Sonate opus 110 de Beethoven, quand se déplore le Klagender Gesang, le chant de douleur. Il n’avait pu faire le crescendo qui sous-tend la plainte. Il ne pouvait faire cela. Pas devant eux, les deux mille qui regardaient, attendaient la fin. C’était comme se dévêtir, ou mourir. Il fallait se cacher. Il savait que la fugue allait venir très vite, où il pourrait se masquer de sérénité. Mais il reviendrait aussi, encore, voilé, perdendo le forze, l’Arioso de douleur, et alors, la pédale una corda ne suffirait pas à teinter d’absence la phrase qui s’efface. Il faudrait encore moins de son." M. S.

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Dans les années 60, alors que la radio, contrairement à la situation des Etats-Unis, était encore au Canada un moyen de communication très vivant et écouté, Gould décida de faire des documentaires radiophoniques pour la C.B.C. En 1967, il entreprit un programme expérimental. Sous le titre L'Idée du Nord, il créa sa première expérience de "radio contrapuntique" mêlant les propos de personnes qui ne se connaissaient pas mais avaient en commun une expérience du Nord. Le montage donnait à leurs échanges l'apparence d'un dialogue dramatique avec des répliques, des scènes, des péripéties. Non sans appréhension, la radio décida de diffuser l'émission le 28 décembre 1967. Ce fut un succès. Les deux autres programmes que Gould regroupa sous le titre général Trilogie de la solitude furent entrepris en 1969 et 1971. Au total le cycle demanda 4 ans de travail.
"La radio n'est pas utilisée comme elle devrait l'être", déclara-t-il en 1968 à John McClure. Les informations, les reportages, la météo, le contenu tout cela importait moins que "le mystère très pur de la voix humaine". (...)
De temps à autre, dans la dernière partie de sa vie, pianiste sans concerts, Gould prenait sa voiture et allait droit vers le nord du lac Supérieur. Là, il restait sans rien faire. Des jours, des nuits. C'est en route pour ce Nord sans visage qu'il appelait "mon pays" qu'il entendit un jour sur sa radio de bord Petula Clark chanter Who am I ? ("Qui suis-je ?"). C'était sur la route 17, quelque part entre Batchawana et Terrace Bay. L'antenne du réémetteur local de la Canadian Broadcasting Corporation était de faible puissance, et le son se perdait à chaque virage, pour disparaître bientôt complètement, tandis que flottait, entêtante, l'odeur des résidus des usines de pâte à papier. Puis cette rengaine devint comme une antienne.
A chaque ville, distante de la précédente de plusieurs dizaines de kilomètres, on retombait dans la zone de diffusion de l'émetteur suivant et toujours Petula Clark cherchait à savoir qui elle était, car le disque était alors en tête de classement des succès, et on le retrouvait dans toutes les émissions de toutes les chaînes ; Gould parvint à régler son allure de façon à réentendre la chanson toutes les heures - le parcours durait près d'une journée.

Michel Schneider, Glenn Gould piano solo


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