Mary Mc Loughlin
En écrivant Ulysses, James Joyce s’embarque dans un voyage linguistique qui durera huit ans et qui se terminera avec un chef-d’œuvre mondial. Sur les traces d’Homère, il raconte la vie ordinaire, comique et tragique de l’homme, sa quête existentielle, dérisoire et absurde ; la condition humaine du retour éternel et de l’éternel recommencement. Lire Ulysses est une expérience unique. Il s’agit d’un voyage interne et externe où l’on rencontre, si on l’accepte, une partie de soi méconnue. Il s’agit d’un exil où l’on est confronté à l’inquiétante étrangeté dans un langage que l’on connaît sans le savoir. Il s’agit d’une odyssée personnelle où chaque relecture prend un nouveau sens. L’écriture de Joyce confronte le sujet à un miroir dans lequel il se perd pour se retrouver. Elle montre une voie qui indique à chacun sa vérité.
Mais l’œuvre d’Ulysses est avant tout un défi personnel pour son auteur. C’est une quête langagière qui devient une conquête de mots et c’est dans le langage, en tant que l’Autre, que Joyce rencontre l’altérité. Exilé volontaire de son pays et de sa langue, il façonne, dans cette même langue, une langue étrangère qu’il fait sienne. Une langue créée par lui et qui pousse le lecteur au-delà des confins du lisible. Une langue où les limites, entre dedans et dehors, éclatent en mille morceaux : territoire dangereux où risque de manquer la thin thin line qui clôt l’univers.
Ulysses est une aventure linguistique qui change radicalement de direction à mi-chemin. C’est à partir du chapitre onze, Sirens, chapitre qui met en scène le mythe des Sirènes, que Joyce commence réellement à explorer les possibilités et les limites du langage. Le langage qu’il utilise ici anticipe celui qu’il adoptera dans Finnegans Wake. Syntaxe, structure, son et style sont poussés, tordus, tortillés jusqu’au point où les mots, voire les lettres des mots prennent une vie indépendante, au-delà de leurs racines langagières.
Le thème de Sirens est le même que celui de l’Odyssée d’Homère : la puissance funeste de la séduction sonore. Pour Homère le danger trouve sa source dans le chant des deux sirènes penchées sur les rochers. Certes les deux serveuses chez Joyce, Miss Douce et Miss Kennedy, leur font écho, mais au-delà d’elles, c’est l’épisode tout entier qui se met à chanter. Le lecteur se trouve ensorcelé par le texte lui-même, et, comme Ulysse, a besoin d’attaches pour ne pas se perdre, pour ne pas succomber.
En m’appuyant sur les deux auteurs, Homère et Joyce, je tenterai avec eux d’emprunter le chemin qui mène aux sirènes : épreuve vocale où la voie et les voix sont chargées de danger.
Plan de l'article
• Les Sirènes
• La séduction
• Conclusion
참고) Joyce he war, yes : la microlecture selon Derrida- Phillip John Usher