Le génie féminin, tome 2 : Melanie Klein (Poche)
de Julia Kristeva (Auteur)

Présentation de l'éditeur
Suspecté de perdre ses " valeurs ", le XXe siècle a cependant ouvert des questions que l'humanité, à travers quelques femmes exceptionnelles, n'a jamais explorées avec autant de gravité, de risques et de promesses qu'est-ce que la vie (Hannah Arendt) ? où est la folie (Melanie Klein) ? que peuvent les mots (Colette) ? Melanie Klein (1882-1960) apparaît comme la novatrice la plus originale de la psychanalyse. Alors que Freud centre la vie psychique du sujet sur l'épreuve de la castration et la fonction du père, Melanie Klein - sans les ignorer - les étaie d'une fonction maternelle, absente dans la théorie du fondateur. La première, elle pense au matricide : capable dès la naissance d'un lien à l'objet (le sein, la mère), et habité de fantasmes aussi violents que réparateurs, l'enfant selon Melanie Klein a ouvert de nouveaux horizons à la clinique de la psychose et de l'autisme

  • Poche: 446 pages
  • Editeur : Editions Gallimard (4 novembre 2003)
  • Collection : Folio essais
  • Langue : Français

    인터뷰

    Julia Kristeva

    par Ariane Poulantzas
    Lire, juin 1999

     Linguiste, psychanalyste, romancière, ce professeur d'université s'est intéressé à la pensée de trois femmes d'exception qui ont marqué notre siècle.

     A peine un soupçon d'accent chantant. Paradoxalement, c'est plutôt sa parfaite maîtrise du français qui nous rappelle qu'elle vient d'ailleurs; elle parle le français comme dans les livres. Dans sa bouche, les phrases ondulent avec douceur, sans jamais se chercher. D'ailleurs, tout ondule chez cette femme: les mots et les gestes, l'esprit et le corps. Une impression d'accueil, d'ouverture se dégage de toute sa personne. «Je suis polyvalente», dit-elle. En effet, la politique, la psychanalyse, la littérature, tout l'intéresse. Mais au-delà des objets particuliers qu'elle choisit d'étudier, on sent bien que sa passion, c'est la pensée. Une femme qui aime penser et qui sait faire partager cet amour.



    Vous qui avez quitté la Bulgarie fin 1965, vous donnez l'exemple d'une intégration réussie.
    Julia Kristeva. Il y a quelques années, à vrai dire, j'ai eu l'impression que la France s'enlisait. J'ai même eu envie de quitter ce pays parce que je constatais beaucoup de xénophobie et me sentais personnellement visée. Je n'étais plus à l'aise dans cette France que pourtant j'aime et qui m'avait adoptée.

    Où pensiez-vous aller?
    J.K. J'ai voulu m'exiler au Canada. J'aurais choisi le Québec qui, francophone, est plus adapté à mes compétences. Mais, finalement, j'y ai ressenti un autre nationalisme, non moins pénible. Le nationalisme québécois, bien que très sympathique par son souci identitaire, décline en une impasse provinciale. J'ai donc décidé de rester en France, mais en ancrant ma réflexion davantage dans le réel. Il me fallait aborder plus frontalement mes angoisses et celles des autres.

    Quelles étaient ces questions?
    J.K. J'ai fait pendant quelques années des cours sur l'expérience de la «révolte», aussi bien politique que culturelle. Je me suis demandé ce qu'était une «littérature révoltée» - Aragon, Sartre, Barthes; mais aussi en quoi l'expérience du divan révélait une violence résurrectionnelle.

    Vous pensez que la psychanalyse constitue une forme de violence?
    J.K. Oui. On a souvent l'idée que la psychanalyse est une cure de normalisation. Cela est d'ailleurs, sans doute, le cas aux Etats-Unis, mais on est alors très loin de la pensée de Freud.

    Freud était un révolté?
    J.K. Il le dit lui-même. Au sens où la révolte est une interrogation, où elle remet en question ce qu'on a cru être un «destin» et transforme les pulsions en signification. Le concept de révolte se situe au cœur de la pensée de Freud. Quand l'enfant structure sa personnalité, il passe par des révoltes extrêmement violentes. Le complexe d'Œdipe en est l'illustration la plus nette. Ce sont, d'ailleurs, les étudiants qui m'ont incitée à publier ces réflexions.

    Pour Le génie féminin, avez-vous procédé de la même façon?
    J.K. Ce sont aussi mes cours à l'université de Paris VII qui en fournissent la matière. Pendant deux ans j'ai vécu avec Hannah Arendt. Je redécouvre actuellement Melanie Klein, qui constitue la deuxième figure du triptyque, la troisième sera Colette. C'est sur la chair de la pensée - et de la littérature qui est une pensée extrême - que tente de se déployer mon travail. Mon analyse est toujours à mi-chemin des œuvres culturelles et de l'observation clinique.

    Le terme de «génie», vous l'utilisez en quel sens?
    J.K. Le génie renvoie à l'idée de surprise, d'innovation. Il s'oppose à la banalisation, à l'automatisation.

    Pourquoi vous intéressez-vous spécifiquement au génie féminin?
    J.K. Nous sommes une partie de l'espèce humaine qui, malgré toutes les avancées, reste méconnue et n'a pas encore donné toutes ses potentialités. Mais, j'ai voulu me dissocier d'une vision «grégaire» du féminisme, d'une vision communautaire. C'est la «singularité» qui me semble essentielle. Ce qui m'intéresse dans l'ensemble d'êtres humains formé par les femmes, c'est la singularité de chacune. Chacune est une. Toutes les femmes sont une.

    Pourquoi avoir choisi Hannah Arendt, Melanie Klein et Colette?
    J.K. Je suis linguiste, psychanalyste et romancière; mais la passion qui me rassemble est l'observation du XXe siècle. J'ai donc décidé de m'intéresser à des femmes de ce siècle qui l'éclairaient chacune de manière différente. Commençant par l'aspect politique, j'ai arrêté mon choix sur Hannah Arendt. Elle a un regard extrêmement complexe qui mêle politique et philosophie: sa pensée s'ancre dans la philosophie, passe par la politique et revient à la philosophie.

    Et Melanie Klein?
    J.K. Le domaine de Melanie Klein, la psychanalyse, est celui dans lequel je m'implique beaucoup en ce moment. Sa pensée aussi est courageuse, innovante. Ses vues se séparent de celles de Freud et ouvrent des perspectives nouvelles telles que l'analyse des psychoses, de l'autisme, de la destruction de la pensée, qui sont au centre de la clinique moderne.

    Et Colette?
    J.K. Tout en étant celui du totalitarisme thématisé par Hannah Arendt et celui de la folie traité par Melanie Klein, notre siècle est aussi un siècle de plaisirs, de joies, de bien-être. A côté de ces deux juives dramatiques que sont Arendt et Klein, il me fallait une paysanne française, charnelle, païenne et jubilante. Colette s'est imposée. J'aime énormément cet écrivain. Lorsque j'écris des romans, j'aime la lire. Ses écrits sont une sorte de bain de langue qui me ressource. Je me suis aperçue aussi que Proust, dont Colette s'est moquée dans Claudine en ménage, a certainement lu les Dialogues de bêtes de 1904 qui dévoilent ce «moi profond» à la recherche duquel Proust va se consacrer.

    Se sont-ils rencontrés?
    J.K. Ils se sont rencontrés dans le salon de Mme Armand, et leurs relations ont été au début assez tendues. Pourtant, dès 1895, Proust écrit que les mots de Willy (entendons: de Colette) ne sont pas une «représentation» mais une «chose vivante»; et, plus tard, il avoue avoir pleuré à la lecture de la lettre de Mitsou. Colette, qui le traite d'abord de «jeune et joli garçon de lettres», s'incline devant l'auteur de Du côté de chez Swann, et se dit «éblouie» des premières pages de Sodome et Gomorrhe. Mais ils ne se sont pas fréquentés; et leurs sensualités, désinhibées par leurs lectures réciproques et croisées, se traduisent dans des musiques fort différentes.

    Chez Proust, la sensualité est plus intellectualisée. Avec Colette, on reste dans la sensation pure. Peut-on dire que l'écriture de Proust soit plus masculine et celle de Colette plus féminine?
    J.K. La supériorité de Proust est d'avoir construit une véritable cathédrale de ce
    «temps sensible» qu'il partage avec Colette, tandis que les madeleines et les aubépines sont chez lui d'emblée transposées dans l'Etre. Cette ambition métaphysique est unique. Elle va de pair avec le culte de la douleur et de l'impossible qui se laissent entendre dans le sarcasme proustien. Peur de la mort et de la castration, plus spécifiquement masculine? Ces dimensions manquent chez Colette, mais elle est allée plus loin dans l'exploration de la jouissance.

    Pensez-vous que la pensée soit sexuée?
    J.K. Je pars du principe qu'il existe une différence sexuelle, mais je ne définis pas d'emblée ses conséquences pour la pensée. Le défi du livre est là: sans préjuger de rien, je me fais exploratrice, je vais enquêter, en interrogeant le travail de ces trois femmes. Sur le plan philosophique, le nous, terme grec qui désigne l'esprit dans son aspect intellectuel et théorique, est équivalent chez les deux sexes. L'abstraction, le sens, la capacité symbolique sont universels. Les hommes et les femmes y ont un accès équivalent.

    Equivalent mais non identique?
    J.K. La psychanalyse constate la coprésence sexualité/pensée: l'être humain accède à la pensée et au langage à partir d'une expérience sexuelle, à tel point que les accidents de cette expérience sexuelle peuvent favoriser ou entraver sa pensée et son langage. La séparation, la frustration, le manque, le deuil de l'objet maternel, le rapport au sexe paternel qu'on désigne comme un rapport au phallus-signifiant du pouvoir et de la loi, etc., jalonnent cet accès à la capacité symbolique universelle. On comprend dès lors que pour une femme, compte tenu de sa constitution physique, de son lien de similarité avec la mère, de son évolution érotique qui la conduit à abandonner la femme-mère comme objet d'amour archaïque pour désirer l'amour du père-homme, le rapport à la pensée universelle est sous-tendu par une dynamique psychosexuelle différente de celle de l'homme. On peut s'attendre par conséquent à ce que les réalisations culturelles des femmes, dans le domaine de la pensée et tout particulièrement dans les arts et les lettres, portent les traces de cette différence. Cependant, l'universel constitué dans notre tradition métaphysique procède par effacement du corps et des différences, et bascule de l'universalité à l'uniformité. Ces tendances métaphysiques à l'uniformité sont très fortes, elles sont reconduites par la technique et la politique. Les femmes, pour faire entendre leurs voix, se sont conformées pendant des générations à un certain canon que l' «universel» exigeait d'elles. Mais rien n'empêche de penser que si l'on favorisait les différences, les exclu (e) s de l'universel ne trouveraient pas un nouveau rapport à l'universel: à la fois autre et complémentaire.

    Les questions théoriques sont aussi bien féminines que masculines, mais chaque sexe ne les aborde-t-il pas de manière spécifique?
    J.K. Tout à fait, et je voudrais insister sur cette idée. Certaines féministes des années 70, soucieuses de revendiquer la «différence» féminine en plus ou à l'encontre de l'idée d'une simple «égalité» avec les hommes, ont emprisonné le féminin dans le sensible, dans une sorte de prélangage, toute autre activité mentale étant discréditée comme «phallique» ou «masculine». Je suis très opposée à cette réduction. Une femme est un sujet pensant et parlant, et de ce fait - Hannah Arendt en est la preuve exemplaire - elle participe avec force aux débats universels de la philosophie et de la politique. Il n'en reste pas moins que son expérience de femme colore sa pensée différemment.

    Vous écrivez à propos d'Hannah Arendt: «Une séductrice, notamment quand elle pense, n'est jamais dépourvue des ambiguïtés de l'androgyne.»
    J.K. Certaines photos m'ont frappée. Je pense que la séduction qu'elle a dû exercer, notamment sur Heidegger, est un mélange de grâce fragile, d'une part, et de prestance, d'autorité, d'autre part, que l'on peut qualifier de masculines. Cette bisexualité psychique s'est accentuée avec le temps, et elle a été sans doute indispensable pour que Hannah Arendt puisse mener cette
    «vie de l'esprit» intense qui fut la sienne, et qu'elle l'impose à ses contemporains.

    Vous mettez donc la théorie du côté de la masculinité et la sensibilité accueillante du côté de la féminité?
    J.K. Pas vraiment. Je pense avec Freud que la bisexualité psychique constitue les êtres humains, et qu'elle est même plus forte chez les femmes que chez les hommes. La contemplation théorique, l'abstraction, l'esprit de système peuvent être qualifiés en effet de spécifiquement phalliques. Mais il existe des théories qui sont plus accueillantes que revendicatives, plus dans le partage que dans l'isolement. Il se trouve que la pensée de Hannah Arendt, telle que j'essaie de la faire apparaître, insiste beaucoup sur l'amour, la naissance, le lien, le pardon, la promesse.

    Y a-t-il une «féminité» de la pensée politique d'Arendt?
    J.K. Je ne me suis pas posé la question en ces termes, je me suis demandé quelle était la spécificité de cette pensée. J'ai insisté sur le fait qu'elle a été la première à voir des similitudes entre les deux visages du totalitarisme: le nazisme et le stalinisme. Ce qui rassemble ces deux systèmes, c'est la notion et la pratique d'une superfluité de la vie humaine: des hommes se sont donné le droit de supprimer la vie d'autres êtres humains. Cette analyse originale hérite de la pensée chrétienne et de l'importance accordée à la naissance dans l'œuvre de saint Augustin en particulier. En rapport étroit mais critique avec Heidegger, Hannah Arendt la transpose avec beaucoup d'audace et de subtilité sur le plan politique. Saint Augustin montre comment la liberté humaine s'enracine dans le fait de naître. Tout acte de liberté est une nouvelle naissance. Arendt cherche la valeur d'une société dans sa capacité de garantir la renaissance de ses membres. C'est précisément cela que les totalitarismes ont aboli. On pourrait voir dans cette analyse d'Hannah Arendt une démarche intellectuelle qui ajoute à l'universel de la pensée théorique les données de son expérience de juive et de femme.

    Sa fameuse thèse sur la «banalité du mal» a été très contestée?
    J.K. Hannah Arendt emploie ce terme pour le procès Eichmann où elle était envoyée, à sa demande d'ailleurs, par le New Yorker. Elle constate qu'Eichmann n'est pas un bourreau sadique mais un fonctionnaire qui croit accomplir un devoir. Dans l'accomplissement de cette obéissance, il s'arrête de penser. Il se contente de mettre en œuvre une forme de raisonnement qui consiste à suivre les consignes et à être exact dans leur application. Mais il s'interdit de penser, au sens de l'interrogation, de la remise en cause de soi et de toute norme. Elle appelle «banalité du mal» cette abdication de la pensée, combien abjecte (et en ce sens impardonnable) et pourtant combien répandue (et en ce sens «banale»).

    On a pu reprocher à Arendt de disculper, par cette analyse, l'attitude d'Eichmann? Pensez-vous que ce soit le cas?
    J.K. Absolument pas. Pour elle, il est coupable. Non seulement il mérite son châtiment, mais elle pense qu'il aurait fallu élever ce châtiment à une hauteur supérieure, devant un tribunal international qui le condamnerait pour crime contre l'humanité. Il ne s'agit pas du tout de le disculper, mais au contraire de montrer que le plus grave se produit quand les humains s'arrêtent de penser. C'est précisément ce que les mouvements totalitaires ont infligé à des peuples entiers. A travers la propagande, la police, l'idéologie, toutes les conditions ont été réunies pour que l'être humain ne pense pas. Au fur et à mesure qu'un tel processus se développe, on finit par détruire la vie après avoir détruit la pensée. Pour Arendt, l'attitude d'Eichmann n'est pas du tout un moindre mal, elle est radicalement mauvaise sous l'apparence de la banalité.

    Revenons aux femmes et à leur place dans la société. Que pensez-vous de la parité?
    J.K. La plupart des partisans de la parité suivent une logique de compensation. Ils pensent que les femmes ayant toujours été lésées, il n'y a pas d'autre solution que de se ranger à cette incongruité philosophique que sont les quotas. J'ai essayé de dire qu'il ne s'agissait pas seulement de cela, d'une simple compensation paternaliste et artificielle. Je crois, en effet, que quelque chose a été entamé avec Heidegger, puis de manière différente avec Hannah Arendt, et se poursuit aujourd'hui avec Jacques Derrida - à savoir ce qu'on appelle le démantèlement de la métaphysique, et que cela est à prendre au sérieux, y compris dans la vie de la cité.

    C'est-à-dire?
    J.K. Bien sûr, il s'agit de valoriser les femmes, de faire en sorte que l'Assemblée nationale, le gouvernement, etc., en comptent davantage. Mais, plus fondamentalement, se pose la question de ce que l'universel censure pour exister comme tel: le sensible, le corporel, le sexuel, l'étranger, ainsi que les types de discours et de pensées qui s'en ressentent. Cette tendance, en elle-même inévitable, peut avoir pour conséquence, lorsqu'elle est poussée à bout, d'uniformiser les différences (sociales, ethniques, religieuses, et pour commencer sexuelles), et de gommer cette part corporelle et inconsciente de l'appareil psychique dont l'intellect n'est que l'expression supérieure et, en un sens, superficielle. L'action spécifique des femmes au sein de la vie politique permettrait, si elle se réalisait, de revaloriser la partie cachée de notre expérience psychique, celle-là précisément qui contribue à éviter la «pensée-calcul» au profit d'une «vie de l'esprit».

    Pour parvenir à cette féminisation de la politique, est-il nécessaire d'en passer par une mesure artificielle et formelle?
    J.K. Je ne pense pas du tout que cette mesure soit artificielle et doive être considérée comme un pis-aller: le fait de l'inscrire dans la Constitution a une fonction symbolique, presque religieuse ou métaphysique, qui consiste à fonder le corps social non pas sur Un, mais sur Deux. C'est en ce sens que cette mesure participe du démantèlement de la métaphysique. Il ne s'agit pas de lutter contre l'universel, mais de le refonder à deux, pour mieux penser les différences.

    Des institutions politiques constituées de davantage de femmes, qu'est-ce que cela changerait concrètement?
    J.K. Arendt écrit à Heidegger en 1950: «Je ne me suis jamais sentie une femme allemande, et cela fait longtemps que je ne me sens pas une femme juive. Je me sens ce que je suis réellement - une fille qui vient d'ailleurs.» Il ne s'agit pas là de déni d'identité. Il s'agit d'un désengagement de l'identité, quelle qu'elle soit, pour se donner la liberté d'interroger toute identité. Une femme a été capable de cela, face et contre le totalitarisme. J'aimerais bien qu'on retienne ceci de son génie: la capacité d'être ailleurs. Mais aussi ce qu'elle appelle le
    «miracle de la natalité», parce que c'est par la naissance que de nouveaux étrangers viennent au monde, et que de nouvelles actions peuvent recommencer. Et enfin, son souci de créer des liens en partageant la mémoire de nos actions avec les autres. Ces qualités ne sont pas exclusivement féminines, puisque les hommes en sont aussi capables. Mais il est vrai que, plus facilement obsessionnels, les hommes se cuirassent dans une langue de bois au service de calculs et de raisonnements économico-financiers. Alors que des femmes sont plus attentives à la vie quelconque...

    Hormis ces trois-là, y a-t-il d'autres femmes que vous voudriez étudier?
    J.K. Depuis quelques années, j'ai un projet de roman policier dont le cadre sera celui des croisades, et sur lequel je travaille doucement la nuit. Cette époque m'intéresse parce que c'est à ce moment que le clivage de l'Europe s'est manifesté de manière dramatique: schisme entre l'Eglise d'Orient et l'Eglise d'Occident; première croisade, qui est une tentative de conquête de l'Orient par l'Occident, mais aussi une tentative d'unification de l'Europe, et qui ont toutes les deux échoué. Nous sommes au VIe siècle. Très actuel, n'est-ce pas? Comment allons-nous vivre avec cet abîme qui sépare aujourd'hui la communauté orthodoxe du reste de l'Europe? Il faudrait réévaluer leur culture, ainsi que la nôtre, et essayer de bâtir des ponts entre les religions, puis laïciser. C'est donc autour de ces problèmes que j'aimerais orienter une fiction.

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