Alain Lambert

   Première suite sur


«La haine de la musique»


de Pascal Quignard
en continuant de relire Rousseau.


En 1996, après avoir écrit Tous les matins du monde en 1991 et La leçon de musique en 1987, l’écrivain Pascal Quignard publiait dix petits traités sous le titre générique de La haine de la musique [folio] . Ce titre est précisément celui du VIIe traité, qui synthétise, avec le IXe: Désenchanter, la trame implicite aux méditations de l’auteur dont voici un florilège extrait de ces deux textes:

La musique est le seul, de tous les arts, qui ait collaboré à l’extermination des Juifs organisée par les Allemands de 1933 à 1945... Il faut souligner, au détriment de cet art, qu’elle est le seul qui ait pu s’arranger de l’organisation des camps, de la faim, du dénuement, du travail, de la douleur, de l’humiliation, et de la mort... Il faut entendre ceci en tremblant: c’est en musique que ces corps nus entraient dans la chambre.

La musique viole le corps humain. Elle met debout. Les rythmes musicaux fascinent les rythmes corporels. A la rencontre de la musique, l’oreille ne peut se fermer. La musique étant un pouvoir s’associe de fait à tout pouvoir. Elle est d’essence inégalitaire. Ouïe et obéissance sont liées. Un chef, des exécutants, des obéissants telle est la structure que son exécution aussitôt met en place. Partout où il y a un chef et des exécutants, il y a de la musique. Platon ne pensa jamais à distinguer dans ses récits philosophiques la discipline, la guerre et la musique, la hiérarchie sociale et la musique... Cadence et mesure. La marche est cadencée, les coups de matraque sont cadencés, les saluts sont cadencés. (p.215 à 221)

Entendre et obéir.

La première fois où Primo Levi entendit la fanfare à l’entrée du camp jouant Rosamunda, il eut du mal à réprimer le rire nerveux qui se saisit de lui. Alors il vit apparaître les bataillons rentrant au camp avec une démarche bizarre... Les hommes étaient si dépourvus de force que les muscles des jambes obéissaient malgré eux à la force propre aux rythmes que la musique du camp imposait et que Simon Laks dirigeait.

Primo Levi a nommé «infernale» la musique... «Leurs âmes sont mortes et c’est la musique qui les pousse en avant comme le vent les feuilles sèches, et leur tient lieu de volonté.»

Ce fut pour augmenter l’obéissance et les souder tous dans la fusion non personnelle, non privée, qu’engendre toute musique.

Ce fut par plaisir, plaisir esthétique et jouissance sadique, éprouvés à l’audition d’airs aimés et à la vision d’un ballet d’humiliation dansé par la troupe de ceux qui portaient les péchés de ceux qui les humiliaient.

Ce fut une musique rituelle... La musique, écrit-il, était ressentie comme un «maléfice». Elle était une «hypnose du rythme continu qui annihile la pensée et endort la douleur».

Comment entendre la musique, n’importe quelle musique, sans lui obéir? (p. 224 à 228)

Il n’y a pas deux «côtés» de la musique... Il y a une puissance qui fait simultanément retour sur elle même et métamorphose d’une façon similaire ceux qui la produisent en les plongeant dans la même obéissance rythmique, acoustique et corporelle.

Dans Mémoires d’un autre monde, Simon Laks rapporte cette histoire;

En 1943, dans le camp d’Auschwitz, pour la veillée de Noël, le commandant Schwarzhuber donna l’ordre aux musiciens du Lager d’aller jouer des chants de Noël allemands et polonais devant les malades de l’hôpital pour femmes. Simon Laks et ses musiciens se rendirent à l’hôpital pour femmes.

Dans un premier temps, les pleurs saisirent toutes les femmes... Dans un second temps, aux larmes succédèrent les cris. Les femmes criaient: «Arrêtez! Arrêtez! Fichez le camp! Du balai! Laissez nous crever en paix!»... Simon Laks dit qu’il n’avait jamais pensé jusque là que la musique pût faire mal.

La musique fait mal.

Je m’étonne que des hommes s’étonnent que ceux d’entre eux qui aiment la musique la plus raffinée et la plus complexe, qui sont capables de pleurer en l’écoutant, soient capables dans le même temps de la férocité. L’art n’est pas le contraire de la barbarie... La sidération de l’audition donne à la mort.

Goethe, âgé de soixante-quinze ans, a écrit: «La musique militaire me déploie comme un poing qu’on ouvre». (La haine de la musique p.236 à 243)

Le fascisme est lié au haut-parleur. Il se multiplia à l’aide de la «radio-phonie». Puis il fut relayé par la «télé-vision». Au cours du XXe siècle, une logique historiale, fasciste, industrielle, électrique - quelle que soit l’épithète qu’on veuille retenir - s’est emparée des sons menaçants. La musique, par la multiplication non de son usage (son usage au contraire s’est raréfié) mais de sa reproduction comme de son audience, a désormais franchi la frontière qui l’opposait au bruit.

Le silence est devenu le vertige moderne. De la même façon qu’il constitue un luxe exceptionnel dans les mégapoles.... Je fuis la musique infuyable... (Désenchanter p.273 à 307)

Ces extraits ne veulent pas résumer l’ensemble de la thèse mais au contraire la cerner au milieu d’une écriture qui médite, qui tourne en spirale, semble s’égarer pour revenir sur elle même à chaque boucle. La cerner autour d’un point particulier qui revient constamment: «entendre et obéir», avec une référence constante aux deux déportés, Simon Laks, le musicien et chef d’orchestre forcé de jouer , et Primo Levi, l’auditeur forcé d’entendre. Avec une référence constante à Platon aussi.

Mais ce qu’oublie de dire Quignard, à propos de cette dernière référence, c’est que, si Platon ne semble pas distinguer, dans sa façon de le présenter, la musique de la discipline, de la guerre, de la hiérarchie sociale, il ne s’agit pourtant pas de «n’importe quelle musique». Il y a bien «deux «côtés» de la musique» pour Platon, celle qui mène à l’obéissance, et l’autre, qui conduit à l’anarchie, c’est à dire la plainte, l’ivresse, la mollesse et l’indolence ( La République [398c - 402c]) ce qui exclut tous les modes musicaux des Grecs, sauf deux: le dorien et le phrygien qui permettent d’éduquer, c’est à dire de dresser convenablement les futurs philosophes-rois , l’une pour en faire un «brave engagé dans la bataille et dans toute autre action violente», et l’autre pour en faire un «homme engagé dans une action pacifique... volontaire [où il] se conduit en toute circonstance avec sagesse et modération, content de ce qui lui arrive».

Ce qui exclut aussi de la Cité idéale les «instruments à cordes nombreuses qui rendent toutes les harmonies», c’est à dire tous les modes, et donc plutôt toutes les mélodies, sur le modèle de la flûte «qui peut émettre le plus de sons»et qui est donc le plus «mélodique» des instruments. Ne restent que les lyres et les cithares pour la ville, les syrinx pour les bergers, instruments «harmoniques» dont les notes sont fixées une fois pour toute par l’artisan, dans un accord, un mode et une harmonie préétablis donc. Car la flûte, au début, ravit l’âme et l’adoucit dans sa part irascible et fait fredonner de joie. Mais, si on se laisse trop prendre à ce charme, c’est le courage qui fond et le jeune homme devient «guerrier sans vigueur» [411a]

Pour purifier la cité, il reste à trier les rythmes, ceux qui favorisent les vices, l’arythmie, et ceux qui favorisent le bien par l’eurythmie. «Il me semble, en effet, que ce sont là les avantages que l’on attend de l’éducation par la musique» confirme à Socrate son interlocuteur. Et Platon continue en 424c:

«Il faut que ceux qui ont charge de la cité s’attachent à ce que l’éducation ne s’altère point à leur insu et... prennent garde que rien de nouveau, touchant la gymnastique et la musique, ne s’y introduise contre les règles établies... car il est à redouter que le passage à un nouveau genre musical ne mette tout en danger. Jamais, en effet, on ne porte atteinte aux formes de la musique sans ébranler les plus grandes lois des cités...

Donc, c’est là, ce semble, dans la musique, que les gardiens doivent édifier leur corps de garde...»

Pas n’importe quelle musique donc, entre la trop mélodique, ludique et arythmique, et la bien harmonisée, et eurythmique, pour dresser le citoyen idéal hors des vices, de la lâcheté, de l’indolence, de la paresse, bref dans l’obéissance civique.

Sur quoi Rousseau renchérit à propos de cette division musicale, mais de l’autre point de vue, en s’en prenant au musicien platonicien le plus influent de son époque, Jean Philippe Rameau, dont j’ai déjà cité ce texte étonnant de 1759 (voir mon article sur ce même site Musique, philosophie et littérature chez Rousseau : http://www.musicologie.org/publirem/lambert_rousseau.html )dont le philosophe prend le total contrepied: «Point d’ouvrage soit de la nature soit de l’art soit en physique soit même en morale, qui ne soit susceptible de ce terme, harmonie universelle, harmonie céleste, harmonie du corps humain, harmonie en peinture, en architecture, harmonie du gouvernement... pour parvenir... à la justesse exacte rigoureuse et sensible qu’on trouve dans la musique, laquelle semble nous être donnée par la nature comme le type sensible de tout ce que doit être en proportion, c’est à dire de toute perfection».

Car pour Rousseau, la musique, du moins comme mélodie, ne relève ni de la science ni de la simple nature, mais bien de l’humain, seul animal capable de se perfectionner, c’est à dire d’acquérir «en bien ou en mal» l’ensemble des qualités, vices et vertus, qui lui permettent de devenir «tout ce qu’il peut être» et non ce qu’il doit être. Car la perfectibilité, sur le modèle de l’imagination mélodique en musique, permet à l’homme de devenir vraiment humain et libre, comme il l’explique dans un chapitre du contrat social, et de quitter l’animalité bornée, stupide et soumise à l’instinct.

D’où les deux derniers chapitres de l’Essai sur l’origine des langues et de la mélodie où la prédominance de l’harmonie sur la mélodie, de la philosophie sur l’émotion, va amener à l’asservissement progressif des hommes: «Aussi, dès que la Grèce fut pleine de sophistes et de philosophes, n’y vit-on plus de poètes ni de musiciens célèbres. En cultivant l’art de convaincre, on perdit celui d’émouvoir. Platon lui-même, jaloux d’Homère et d’Euripide, décria l’un et ne put imiter l’autre... [A la fin de ce lent processus historique, l’oubli de la mélodie dans l’harmonie] cette marche ayant usurpé le nom de mélodie... et notre système musical étant ainsi devenu, par degrés, purement harmonique, il n’est pas étonnant que l’accent oral en ait souffert, et que la musique ait perdu pour nous presque toute son énergie.» (Chap.XIX).

D’où la conclusion du chapitre XX: «Il y a des langues favorables à la liberté; ce sont les langues sonores, prosodiques, harmonieuses, dont on distingue le discours de fort loin...Or je dis que toute langue avec laquelle on ne peut se faire entendre au peuple assemblé est une langue servile; il est impossible qu’un peuple demeure libre et qu’il parle cette langue là»

Rousseau semble rejoindre Quignard sur l’amplification du discours fasciste qui s’impose par la persuasion du volume sonore, et sa cadence implacable, parce qu’il ne sait ni convaincre ni émouvoir (ce qui est vrai aussi des rengaines commerciales qui s’imposent de la même manière et asservissent ceux qui s’y font prendre).

Mais il faut revenir sur le qualificatif «harmonieuses» et essayer de l’éclairer à partir de l’article mélodie du Dictionnaire de Musique du même Rousseau, publié en 1767, où il explique que la mélodie et l’harmonie n’ont qu’un point commun: «On ne doit donc pas comparer la Mélodie avec l’harmonie, abstraction faîte de la Mesure dans toutes les deux,: car elle est essentielle à l’une et non pas à l’autre» ce que Rousseau développe plus loin avec l’idée d’accent ou d’intonation qui permet de faire chanter plus ou moins la mélodie et permet de diversifier une même suite de notes. Et si la mesure du temps sous la forme de l’accent définit la mélodie, il ne s’agit pas là du rythme cadencé dont parle Quignard, qui l’avait d’ailleurs noté en écrivant «cadence et mesure» (voir citation ci-dessus), ce qui permet de distinguer l’harmonieux de l’harmonie, quant à la racine commune.

Car la mélodie est un autre «côté» de la musique [ce que j’ai essayé de montrer dans l’article déjà cité], dans la mesure où elle n’est pas pure construction harmonique mais qu’elle sait être imagination mélodique, loin de toute «logique historiale, fasciste, industrielle, électrique» (avec cette succession de qualificatifs quasi heideggeriens, on ne peut s’empêcher de reprendre au sujet de ce philosophe les remarques de Quignard envers la musique, concernant sa collaboration avec le parti nazi).

Pour prolonger Rousseau, la mélodie comme improvisation, d’abord comme individualisation des voix musicales, a permis l’apparition du contre chant dans le choeur grégorien, des voix solistes dans l’opéra après l’harmonie trop construite du madrigal, des voix fuguées qui s’individualisent en se décalant les unes par rapport aux autres, des voix du concerto en dialogue avec la masse harmonique de l’orchestre... Monteverdi, Corelli, Bach, Vivaldi, bien sûr, et pour changer un peu un musicien français des Lumières, Michel Corrette, directeur d’école (dont les élèves étaient moqués comme « ânes à Corrette» par les musiciens reconnus et sérieux), auteur de treize méthodes et de nombreux concertos «comiques» ([Concerts et concertos comiques - Ensemble Stradivarius - Aria 1996] dont les thèmes, inspirés d’airs populaires, permettent les subtiles variations des instruments solistes les plus divers, flûte traversière, musette, vielle à roue, orgue, violon... ) qui étaient joués entre les actes des vaudevilles.

Un siècle plus tard, dans le gospel, la syncope va jouer avec l’harmonie trop obéissante des cantiques. Enfin, c’est avec le blues et le jazz que l’improvisation vocale puis instrumentale continue le processus d’individualisation des voix musicales. Ray Charles, héros de nos écrans après l’avoir été de nos discothèques, va laïciser, érotiser et individualiser l’expression collective et chorale du gospel, et son disciple indiscipliné le plus récent, le bluesman Ben Harper, s’amuse dans son dernier disque, avec cette même tradition en se décalant du choeur des blind boys of Alabama. Ainsi, dans le morceau mother pray, il met en avant sa voix en équilibre instable et fragile par rapport au choeur, d’où la force de ce morceau.

De même, un grand orchestre de jazz n’est pas une fanfare, ni une harmonie comme on nomme les orchestres de cuivres, mais un écrin instrumental pour les différents solistes, écrin qui doit autant à Duke Ellington qu’à Maurice Ravel, quand on veut bien voir que leurs musiques et leurs timbres n’ont pu que se développer en parallèle, avant de se trouver mêlés ensuite dans les arrangements de Gil Evans, dont ceux pour Miles Davis. Quant au concerto en sol de Ravel, il reste très prisé des jazzmen par sa partie de piano qui semble avoir été improvisée plus que composée, ce dont nous reparlerons.

L’individualisation quasi tocquevillienne en jeu dans la musique se retrouve aussi dans la danse populaire qui va de la ronde collective aux danses à figures avant de s’individualiser totalement avec le jerk dans les années soixante, où chacun peut danser seul, avec ou au milieu des autres. Sans parler de l’écoute, d’abord collective (fêtes, messes...), puis sélective (salles de spectacles...) puis individualisée (radio, électrophone, baladeur...)

Dans l’improvisation, la voix soliste, instrumentale ou vocale, s’appuie sur la grille d’accords des musiques populaires d’aujourd’hui (blues, jazz, folk, rock... ) pour mieux s’en détacher, s’en libérer et évoluer dans de multiples variations encore jamais entendues par l’auditeur et le musicien lui-même. S’il ne triche pas en répétant ce qu’il a déjà préparé, c’est à dire composé, il se laisse emporter de façon à la fois lyrique et virtuose, dans un équilibre éphémère qui définit l’improvisation inspirée, c’est à dire réussie, mêlant citations et innovations dans un mouvement qui explique l’évolution de ces musiques depuis à peine plus d’un siècle. [Voir le très beau texte de Julio Cortazar, L’homme à l’affût (Folio 2 euros) , à la fin des armes secrètes où le musicien, sans doute Charlie Parker, décrit son expérience avec le temps.]

Jacques Attali, dans un livre du reste fort intéressant sur la musique: Bruits, essai sur l’économie politique de la musique (PUF 1977), découpe son histoire en quatre temps: sacrifier, représenter, répéter et composer. Les deux derniers chapitres, qui parlent, du milieu des années 70, de la musique présente et à venir, ont le plus vieilli, car l’auteur se situe dans une perspective hésitant entre l’économie politique et l’économie symbolique, sans jamais se distancier assez de la première, alors que si l’on en reprend la lecture d’un point de vue moins économiste, et en remplaçant dans les cinquante dernières pages composerpar improviser, sa thèse semble se réactualiser, du moins dans la perspective que j’essaie d’explorer à partir de Rousseau, que, soit dit en passant, il évacue en trois lignes parce qu’il ne l’a ni compris, ni lu visiblement [p.121: «On retrouve cette conception de l’harmonie naturelle, ordre inévitable dans le monde, jusque chez Rousseau, avec l’apologie de la musique italienne, naturelle, contre celle des Français, artificielle et construite; la musique doit être une langue, évoquer la conversation et donc permettre l’ordre politique.» C’est tout!

Puis il n’en parle plus, et c’est dommage car ce qu’il écrit de la composition, comme perfectibilité possible, relève bien de l’improvisation telle qu’on peut la définir à partir de Rousseau justement [voir encore mon article déjà cité]:

«Ainsi, écouter de la musique dans le réseau de la composition [improvisation], c’est, au bout du compte, l’écrire à nouveau... La composition [l’improvisation] remet donc en cause, au-delà de la musique, la distinction entre travailler et consommer, entre faire et détruire, division fondamentale des rôles dans toutes les sociétés où un code définit l’usage; elle devient jouissance des instruments, des outils de communication, du temps d’usage et d’échange vécu et non plus stocké.» [p.269]

A remarquer ici et ailleurs dans ce texte les aperçus «médiologiques» avant l’heure - le terme est de 1979 - concernant les rapports entre culture au sens large et évolution des technologies.

«Ainsi, improviser se dit dans la langue du jazz «to freak (dévier) freely». Freak, c’est aussi le monstre, le marginal. Improviser, composer, renvoie donc à l’idée de différences assumées, de corps retrouvé et épanoui... Elle relie la musique avec le geste, dont elle est le support naturel; elle branche la musique sur les bruits de la vie et du corps à qui elle donne une énergie pour son mouvement. Elle est alors risquée, inquiète, remise en cause instable, fête anarchique et menaçante.»[p.284]

On remarque dans ce passage la synonymie entre improviser et composer.

«La composition [l’improvisation] libère le temps pour le vivre et non plus pour le stocker... [elle] ouvre donc sur une bouleversante conception de l’histoire, ouverte, instable, où le travail ne rythme plus l’accumulation, où l’objet n’est plus un stockage du manque, où la musique porte réappropriation du temps et de l’espace. La composition [l’improvisation] est une perpétuelle remise en cause de la stabilité, c’est à dire des différences... La vraie musique révolutionnaire n’est pas celle qui dit la révolution, mais celle qui en parle comme un manque.»[p.289-294]

L’improvisation, comme synonyme de la perfectibilité sur le modèle de l’imagination mélodique, permet de penser l’histoire sur le mode de l’instable et de l’imprévisible, et non sur celui du préécrit, préétabli, prédestiné des philosophies de l’histoire qui relèvent peut-être, elles, de la composition effectuée selon les règles préétablies et préécrites de l’harmonie et du contrepoint. Et l’harmonie ne peut pas être prééminente ni préétablie comme le voulait Rameau, pour éviter la cadence et l’obéissance inconditionnelle aux règles.

Mais c’est le double jeu entre la contrainte harmonique et l’imagination mélodique qui permet au musicien autant qu’à l’auditeur de connaître une expérience musicale. Cette expérience semble beaucoup plus restreinte, du moins pour l’auditeur, dans le free jazz, c’est à dire le jazz libre de toute contrainte, où chaque musicien joue comme il veut, au point que l’individualisation et l’improvisation n’ont plus de limite ni d’existence vraiment collective dans le groupe, sauf chez les très bons musiciens, qui ont été formés à la première école, et qui ne l’ont pas oublié. Quoiqu’en dise Malcom X en 1964: «Le musicien blanc peut jouer s’il a quelque partition devant lui. Il peut improviser à partir de quelque chose qu’il a entendu auparavant. Mais le musicien noir, lui, prend son instrument et souffle des sons auxquels il n’avait pas pensé avant. Il improvise, il crée et cela vient de l’intérieur. C’est son âme, c’est la musique de son âme...» [cité par Attali qui ajoute: «Depuis ce temps, et comme le mouvement de la violence noire, le bruit du Free Jazz a échoué dans sa rupture de la répétition. Cantonné, réprimé, limité, censuré, expulsé, il s’est assagi. (p.276-278)]

Peut-être qu'au delà des premiers moments d’enthousiasme libertaire, les années soixante-dix n’ont pas été la période la plus riche du jazz. Le retour au be-bop, au jazz mixte, dans lequel les musiciens blancs avaient appris «fraternellement» l’improvisation au milieu des musiciens noirs, a permis un retour du public à la fin de cette même décennie, à partir de thèmes mélodiques communs à la culture du musicien et de l’auditeur, condition d’une expérience musicale en partie partagée, car tout le monde ne peut pas être musicien.

Ces remarques ne valent pas pour les "passeurs" ces musiciens comme Eric Dolphy, John Coltrane, Charly Mingus ou Sonny Rollins, qui nous ont fait partager leur expérience musicale parce qu'ils jouaient avec les limites plus qu'ils ne les franchissaient.

Si l’improvisation de la musique actuelle peut rappeler le chamanisme de la transe et de la danse sans doute, c’est dans le sens de la vie tout autant que de la mort, dans l’ivresse instable, et non l’obéissance servile et mécanique.

Ce que savaient bien les nazis dont l’amour de «la musique la plus raffinée et la plus complexe» refusait toute musique classique atonale, hors des règles classiques, et/ou d’origine juive, ou populaire d’origine prolétarienne, juive, tsigane ou noire... bien sûr!

«Si l’on interdit le jazz nègre, si des ennemis du peuple composent une musique intellectuelle privée d’âme et de cœur, sans trouver d’auditeurs en Allemagne, ces décisions ne sont pas arbitraires...» Fritz Stege: La situation actuelle de la musique allemande - 1938. (Cité par Attali au début de son livre avec cet autre passage fort éclairant, version stalinienne du totalitarismecontre une certaine musique: «Nous avons affaire à une lutte très aigüe... entre deux tendances. L’une représente dans la musique soviétique une base saine... fondée sur la reconnaissance du rôle énorme joué par l’héritage classique... et... des liens organiques profonds avec le peuple. La deuxième tendance exprime un formalisme étranger à l’art soviétique, le rejet de l’héritage classique sous le couvert d’un faux effort vers la nouveauté, le rejet du caractère populaire de la musique, le refus de servir le peuple, cela au bénéfice des émotions étroitement individuelles d’un petit groupe d’esthètes élus... Il ne faut pas oublier que l’URSS est actuellement l’authentique dépositaire de la culture musicale universelle, de même que dans tous les autres domaines, elle est le rempart de la civilisation et de la culture humaine contre la décadence bourgeoise et la décomposition de la culture» Jdanov - 1948.)

La musique comme expression de l’âme collective et comme instrument de la collectivisation des âmes, à gauche comme à droite, contre l’individualisation des esprits et des mélodies.

Encore donc un autre «côté» de la musique qui n’est jamais«n’importe laquelle musique» sans distinction aucune. Comme chez Platon [dont Attali cite aussi cet extrait des Lois: «Cet ordre dans le mouvement a précisément reçu le nom de Rythme, tandis qu’on appelle Harmonie l’ordre de la voix où l’aigu et le grave se fondent et l’union des deux se nomme Art choral»], il y a la musique pure, non viciée, bien cadrée par les règles de l’harmonie, et l’autre que les nazis qualifiaient de «dégénérée» [voir sur ce même site musicologie.org> les articles de François Coadou consacrés à La musique dégénérée et à la musique française sous l’occupation Dans son cinquième concert de philosophie lu au Conservatoire de Caen l’an passé, (http://www.musicologie.org/publirem/coadou_02f.html) il nous parle de Nicolaus Harnoncourt, ce violoncelliste qui dans les années cinquante commença à jouer la musique baroque avec des instruments anciens et des petits ensembles, faisant scandale quand il donna à entendre les concertos brandebourgeois de Bach dans cette forme jamais entendue jusqu’ici, puisqu’ils étaient joués par l’orchestre symphonique hérité du romantisme. Puis il ajoute: « Dès 1980, Harnoncourt passe les bornes... du baroque... Il interprète les oeuvres de Mozart. Il interprète de la musique classique. Dans les années 90, il interprète les oeuvres de Beethoven... Schubert... Schumann... Brukner ou celles de Brahms. Il interprète de la musique romantique... Il met en œuvre les mêmes principes expérimentés au sein de la musique baroque... la même conception de l’interprétation... En 1995, Harnoncourt a prononcé au festival de Salzburg un discours... où il s’est expliqué. Il s’agit pour Harnoncourt de dénazifier la musique... ça signifie rejeter la conception assoupissante de celle-ci... de rendre à la musique son contenu de vérité. A commencer par la musique allemande... qui, plus que toute autre, a été touchée... dénaturée, mise au service de fins militaires... totalitaires...» ].

Les marches, les fanfares militaires, les chants choraux harmonisés, sans individualisation ni improvisation, relèvent bien de la «vraie» musique comme les oeuvres purement allemandes dont Wagner fut le meilleur exemple à imposer au monde, y compris en France, entre autre par le biais de l’école du chant choral, bien avant l’occupation et la collaboration, déjà. Quant aux fox trot, et autres airs populaires joués dans les camps, selon un témoignage, ils n’étaient sans doute qu’une version très édulcorée, démétissée sinon germanisée et atrocement sautillante d’une musique dont on pourchassait ailleurs les musiciens, qu’ils soient juifs, noirs, tziganes ou zazous.

Si cette distinction des deux «côtés» de la musique peut expliquer le rôle de son côté «obscur» dans les camps de la mort, sans conclure à une haine globale pour autant, reste la question de la façon dont elle était perçue par les victimes, interprètes et auditeurs tous déportés, contraints et forcés.

Car la musique, quelle qu’elle soit, harmonique ou mélodique, sublime ou nulle, embrigadante ou libératrice, quand on l’entend là où on ne souhaite pas l’entendre, quand on l’impose quand on voudrait le silence et la paix dans un tel univers de mort et de déchéance, comment l’auteur peut-il s’étonner des réactions de rejet de cette musique, de ceux qui la jouent et semblent tellement mieux portant que ceux qui l’entendent, eux qui voudraient ne pas suivre son rythme et s’évader de cette cadence imposée et infernale, ou qui ne peuvent supporter cette illusion de paix et de douceur qui devient mensonge odieux dans un tel contexte, ce que savent bien, sans avoir à trop penser, les bourreaux nazis, les bons aryens. D’où les témoignages de Primo Levi, de Simon Laks et de tous les autres cités par Quignard qui ne sont pas, en soi, surprenants. Toute création humaine, la musique aussi, peut être «infernale» dans les situations infernales.

A l’extrême, si les condamnés avaient été accueillis par des déclamations poétiques, des pièces de théâtre, aussi belles soient-elles, ou s’ils avaient dû traverser, exténués et démoralisés, une galerie des plus belles peintures et sculptures, leur rejet et leur dégoût auraient-ils été bien différents?

Il n’en reste pas moins que si Platon a rejeté tous ces arts hors de sa Cité Idéale, y compris la musique mélodique, cela correspond bien au fait que les nazis n’en pouvaient faire le même usage qu’une musique bien précise, de la même manière qu’ils n’écoutaient ni ne faisaient entendre d’autres musiques, comme on l’a vu, sinon peut-être pour les mettre au ban de leur «culture» comme lors des expositions d’art dégénéré.

Enfin, Quignard termine son VIIe traité intitulé La haine de la musique par les témoignages sur ceux qui ont composé, jusqu’à leur mort, des berceuses ou des sonates, et pour qui faire de la musique avait encore une valeur positive, nécessaire et libératrice.

Alain Lambert Mars 2005.


Références / Musicologie.org 2004
site conçu et administré par
jean-Marc Warszawski

http://www.musicologie.org/publirem/lambert_permiere_suite.html



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Qu’est-ce que l’effet placebo ?
Trois chroniques de France Inter reproduites dans "Odyssée, une aventure radiophonique"
Article mis en ligne le 25 juin 2005

Ces trois textes ont été diffusés à 7.51 sur France Inter en janvier 2003 dans le cadre de la chronique "Odyssée". Elles font partie des textes repris dans le recueil publié au Cherche Midi, recueil dont beaucoup d’auditeurs ignorent l’existence car France Inter l’a passé sous silence... [1] (Pour en savoir plus sur mes relations avec la première station de radio publique française, lire "L’affaire Odyssée").

QU’EST-CE QUE L’EFFET PLACEBO ? (09 janvier 2003)

L’effet placebo est un effet subjectif, mais réel, produit sur une personne par un médicament n’ayant pas d’efficacité démontrée.

Prenez la vitamine C, vitamine indispensable à l’équilibre de l’organisme. Une carence en vitamine C, comme en souffraient autrefois des marins restés longtemps en mer, provoquait une maladie qu’on appelait le scorbut et qui se manifestait en particulier par une fatigue. Le jour où les marins ont emporté à bord des fruits frais - en en particulier des citrons, qui se conservent longtemps - ils n’ont plus souffert de la fatigue du scorbut. Depuis, on sait que la vitamine C des fruits permet de soigner la fatigue du scorbut, mais chez un français vivant en l’an 2003, cet effet n’existe pas. Par conséquent, si après avoir pris de la vitamine C, vous vous sentez requinqué, c’est que vous bénéficiez d’un effet placebo.

Quand, affligé d’un terrible mal de crâne, vous avalez deux comprimés d’aspirine, si vous vous sentez déjà mieux au bout de dix minutes, ce n’est pas parce que l’aspirine fait déjà son effet (elle est encore dans votre estomac) mais grâce à l’effet placebo. Ce qui veut dire que même les médicaments efficaces sont doués d’effet placebo !

L’effet placebo n’est pas seulement véhiculé par les médicaments. Quand un parent pose un baiser sur le bobo d’un enfant, si l’enfant cesse vite de pleurer, ce n’est pas la magie du baiser qui l’a soulagé, mais son effet placebo. Quand un patient entre chez le médecin avec des symptômes inquiétants et en ressort en souffrant moins après que le médecin lui a expliqué que ses symptômes sont bénins, c’est encore grâce à l’effet placebo. Michael Balint, psychiatre anglais qui a beaucoup écrit sur la relation médecin-patient, expliquait d’ailleurs que le premier médicament du médecin, c’est le médecin lui-même. Et dans toute relation thérapeutique, le respect mutuel que s’accordent soignant et patient se concrétise par un fort effet placebo.

L’effet placebo découle de la confiance de l’utilisateur dans le médicament qu’il absorbe, mais ce n’est pas un effet magique - il déclenche, à l’intérieur du cerveau, la sécrétion de substances appelées endorphines, qui soulagent la douleur et divers autres symptômes. Autrement dit, l’effet placebo est la conséquence biochimique d’une suggestion symbolique.

L’effet placebo n’est pas négligeable : certaines expériences ont montré qu’un placebo administré avec conviction soulageait nettement des patients souffrant de douleurs intenses. L’effet placebo peut être inversé : si le médecin suggère à son patient qu’un médicament peut le rendre malade, celui-ci éprouvera des effets désagréables - c’est ce qu’on appelle un effet nocebo.

L’effet placebo est de courte durée. Lorsqu’on administre un placebo aux personnes les mieux disposées, ses effets bénéfiques durent deux ou trois jours, au plus. Ensuite, les symptômes réapparaissent. Mais cette courte durée d’action convient à la plupart des maladies, qui sont bénignes, ne durent que quelques jours et guérissent spontanément. C’est le cas, par exemple, des rhinopharyngites de l’enfant, des douleurs musculaires diverses et variées, des lourdeurs dans les jambes, de la crise de foie, de la gueule de bois, etc.

Vous aurez compris que parmi la pléthore de médicaments commercialisés en France, la grande majorité n’ont qu’un effet placebo. L’industrie pharmaceutique, qui ne cesse de pleurer sur le coût de la recherche, nous fait donc avaler des couleuvres et non des substances efficaces. Mais je vois que mes trois minutes sont écoulées... Demain, pour clore ce triptyque consacré au médicament, je vous parlerai de l’homéopathie...

A lire :

Petite encyclopédie critique du médicament, Pr Claude Béraud, Editions de l’Atelier, 2002

A noter aussi que dans le numéro spécial de juillet-août 2003 de La Recherche, consacré aux frontières de la conscience, Patrick Philippon fait le point de manière très éclairante sur ce sujet passionnant : " L’effet placebo pris sur le fait ", Patrick Philippon, La Recherche, n° 366, juillet-août 2003.

Un excellent site sur le même sujet




EST-IL POSSIBLE D’AVOIR UNE OPINION NUANCÉE SUR L’HOMEOPATHIE ? (10 janvier 2003)

Est-il possible d’avoir une opinion nuancée sur l’homéopathie ? Je ne sais pas, mais aujourd’hui je tente le coup.

Qu’est-ce que l’homéopathie ? C’est une théorie médicale inventée par un médecin allemand, Hahnemann, à la fin du XVIIIe siècle. Sa vision du monde, héritée de théories très anciennes, lui fit postuler que les maladies pouvaient être soignées par des substances provoquant les même symptômes qu’elles - d’où le nom : " homéo " qui veut dire semblable et " pathie ", maladie.

D’après la théorie de Hahnemann, si un patient souffrait de vomissements, un vomitif le soulagerait. S’il souffrait de fièvre, une substance pyrétique la ferait baisser. Pour que le traitement ne soit pas pire que le mal, Hahnemann diluait les substances qu’il avait répertoriées plusieurs dizaines ou centaines de fois, puis secouait la dilution pour lui redonner, pensait-il, ses effets thérapeutiques. Il croyait aussi que la personnalité des gens - et leur sensibilité aux maladies - répondait à des types qu’il nommait " Ignatia ", " Soufre ", " Pulsatilla ", et qui étaient aussi arbitraires que les types astrologiques.

Rappelons que Hahnemann vivait à la fin du XVIIIe siècle. Deux cents ans plus tard, toutes les sciences ont progressé dans leur compréhension du monde, mais pas la théorie de l’homéopathie. Seulement, aujourd’hui, scientifiquement parlant, cette théorie ne tient plus debout. La méthode diagnostique de Hahnemann est aussi obsolète que celle des médecins de Molière, et on sait qu’au-delà d’un certain nombre de dilutions, plus aucune molécule n’est présente dans l’eau qui sert à imprégner les granules homéopathiques.

En 1988, un chercheur à l’INSERM (Jacques Benveniste), affirme avoir montré l’effet d’une dilution homéopathique sur une culture cellulaire ; l’expérience ne sera jamais confirmée par d’autres équipes de chercheurs indépendants. Quant à l’hypothèse selon laquelle l’effet observé serait dû " au souvenir que l’eau de dilution aurait gardé de la substance "... sa confirmation aurait remis en cause rien moins que toute les notions contemporaines sur la physique de l’univers.

Malgré l’absence de preuves scientifiques, les médicaments homéopathiques sont-ils actifs ? Oui, bien sûr, leur efficacité est réelle : elle réside dans l’effet placebo dont j’ai parlé hier - et qui, je le répète est loin d’être négligeable. Beaucoup de maladies bénignes guérissent spontanément et des bonbons au miel, des siestes prolongées ou des granules homéopathiques aident à passer le cap des premiers jours. Ce qui fait le succès de l’homéopathie en France - où l’on consomme 80 % de la production mondiale - c’est que beaucoup apprécient son caractère sympathique- presque écologique - ainsi que l’aspect inoffensif des granules, qu’on peut prendre ou donner à ses enfants comme des bonbons et le temps que les homéopathes prennent, dit-on, pour écouter leurs patients.

Loin de moi l’idée de brocarder ceux qui recourent à l’homéopathie ou à n’importe quel placebo. Je voudrais seulement leur rappeler ceci : en France, pour commercialiser un médicament homéopathique, il n’est pas nécessaire de justifier de son contenu mais seulement de son mode de fabrication : la fameuse dilution hahnemanienne. Aucune instance officielle (et aucune association de consommateurs) ne contrôle ce que contiennent vraiment les granules que vous avalez...

Souvent soucieux de nature et de vérité, les utilisateurs de traitements homéopathiques ne devraient pas, pour autant, oublier ce simple fait : l’industrie pharmaceutique ne fait pas de philanthropie, mais du commerce. Son intérêt, c’est que vous gobiez ce qu’il vous vend. Sans vous poser de question. Et rien ne permet de penser que les sociétés fabriquant des médicaments homéopathiques soient différentes des autres.




NOURRISSONS, ANIMAUX ET MALADES CHRONIQUES SONT-ILS SENSIBLES À L’EFFET PLACEBO ? (13 janvier 2003)

Depuis ma chronique de consacrée à l’homéopathie, des centaines d’auditeurs en colère ont appelé ou écrit en protestant. Pour eux, l’homéopathie étant efficace chez le nourrisson, chez l’animal, et dans des maladies chroniques, son activité ne peut pas se résumer à l’effet placebo. Ils se seraient épargnés la peine de m’écrire s’ils étaient mieux renseignés.

L’effet placebo existe bel et bien chez le nourrisson et chez l’animal. Car il ne résulte pas de la connaissance que nous avons du fonctionnement du médicament, mais des liens symboliques que le soigné (qu’il s’agisse d’un adulte, d’un nourrisson ou d’un animal domestique ou familier) entretient avec le soignant et la manière dont il perçoit le soin qu’on lui porte.

L’effet placebo est très marqué sur les symptômes de l’asthme, des allergies, des affections rhumatismales, des maladies de peau, des maladies inflammatoires de l’intestin, maladies chroniques toutes sensibles au stress - mais aussi à ce qui l’apaise. Et ce n’est pas nier la réalité de ces souffrances que de le dire, bien au contraire, mais affirmer que la dimension affective de ces maladies doit être respectée et prise en compte.

L’effet placebo n’est pas pour autant un phénomène magique ou mystique. De nombreux travaux en démontrent la réalité. À l’hôpital, lorsque l’infirmière prend la tension des patients, cette tension est plus basse que lorsque le médecin la prend. Pour une maladie et un traitement identiques, l’efficacité de la thérapeutique est bien plus grande lorsque le soignant adopte une attitude bienveillante, explicative et rassurante que lorsqu’il est froid, distant et peu sûr de lui - et ces différences sont liées à l’effet placebo.

Des enquêtes de marketing ont montré que pour les consommateurs, un même yaourt a meilleur goût dans un emballage bleu que dans un emballage marron. Quand on donne à des volontaires des comprimés contenant une substance placebo, sans effet pharmacologique (du sucre, par exemple) en leur demandant de noter ses effets indésirables, ces comprimés provoquent de l’irritation quand ils sont colorés en rouge et de la somnolence quand ils sont colorés en bleu.

Depuis quelques mois, les praticiens qui prescrivent des molécules génériques témoignent que leurs patients sont moins bien soulagés par le paracétamol vendu sous forme de " générique " qu’ils ne l’étaient auparavant par le Doliprane, alors qu’il s’agit de la même molécule chimique. Ce qui confirme ce que l’on savait déjà - à savoir que même le nom du médicament véhicule de l’effet placebo. Et, croyez moi, les responsables du marketing des laboratoires pharmaceutiques, eux, le savent depuis longtemps. (Le nom du " Viagra " aurait ainsi été choisi parce qu’il commence comme " Virilité " et finit comme " Niagara "...)

L’effet placebo est le résultat de la grande suggestibilité et de la grande sensibilité dont nous faisons tous preuve et il est pour le moins paradoxal que les patients qui revendiquent le plus fort l’écoute, la compréhension et la bienveillance de leur médecin - à savoir, les usagers de l’homéopathie - soient aussi ceux qui refusent le plus vivement d’admettre que l’effet placebo, effet éminemment bénéfique, agisse sur eux au travers d’une thérapeutique qu’ils ont sciemment choisie ! ! !

Certes, l’effet placebo est un phénomène encore mystérieux. Mais les mécanismes neurobiologiques complexes qu’il met en ?uvre dans le cerveau en font une source de soulagement bien plus écologique et plus " naturelle " que n’importe quel médicament synthétique. Alors, affirmer que l’activité de l’homéopathie résulte de son effet placebo, ce n’est pas une insulte. Sauf peut-être pour les personnes qui, par manque d’information, mésestiment la part du psychisme et de l’effet placebo dans la maladie. Et sauf bien sûr, pour les médecins - homéopathes, allopathes, ou poilopathes - qui ne tiennent pas vraiment à ce que leurs patients deviennent adultes et relativisent la " puissance " de leurs prescriptions.

Quant aux laboratoires pharmaceutiques, eux, ils rigolent...

Et pour en savoir plus, je vous recommande : Le mystère du placebo, de Patrick Lemoine, Editions Odile Jacob. Voir aussi cette page du même auteur

 

 

http://www.recalcitrance.com/placebo.htm

위의 사이트에서는 플라세보의 효과 부정론에 관해.


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Entretien
Michaël Lonsdale et le métier d'acteur
LE MONDE | 31.03.06 | 15h29 • Mis à jour le 31.03.06 | 15h29






Michael Lonsdale, comédien - 1997

Acteur fétiche de Marguerite Duras,

Michael Lonsdale a joué depuis 1956
chez François Truffaut, Joseph Losey,

Jean-Pierre Mocky, Claude Sautet,

Dino Risi, Arnaud Des Pallières... Acteur

et metteur en scène de théâtre, complice

de Laurent Terzieff et de George Aperghis, peintre amateur, acteur de télévision et

de radio, il est connu dans le monde

entier depuis qu'il a joué dans le James

Bond Moonraker (1979), de Lewis Gilbert

et dans Le Nom de la rose (1986)

de Jean-Jacques Annaud. Très apprécié d'une nouvelle génération d'auteurs,

il est, à 74 ans, l'invité d'honneur du

festival Côté Court de Pantin, consacré

au court métrage.






 

Vous êtes invité à Pantin, vous avez joué dans beaucoup de courts-métrages...


Oh oui, au moins trente. Il n'y en a qu'une petite partie qui sera montrée là.


Certains, comme Une sale histoire de Jean Eustache, sont même des films très importants dans l'histoire du cinéma...

C'est vrai. Quand il m'a demandé de faire ça, j'ai été totalement emballé. Cette histoire du voyeur est à moitié inventée, je pense, par son ami et scénariste Jean-Noël Picq. Parce que c'est quand même complètement invraisemblable qu'il y ait en bas d'une porte, dans les toilettes, un trou qui permette de voir le sexe des dames sans qu'on soit les cheveux dans la pisse ou je ne sais pas quoi.


Vous jouez encore régulièrement dans des courts-métrages ?


Oui, mais maintenant on ne veut plus payer les gens, tout est gratuit. Un jour, j'ai rappelé une jeune réalisatrice qui m'avait envoyé un scénario. Je lui ai dit que ça m'intéressait et je n'ai pas pensé à lui demander combien elle allait me payer. Lorsque je l'ai rappelée, elle m'a dit "Mais c'est fini, on ne paye plus les gens ! Tout le monde sait ça !" Je lui ai dit que si elle ne trouvait pas un peu de sous, je ne le faisais pas, et je ne l'ai pas fait.


On vous a vu dans Munich de Steven Spielberg récemment, où vous jouez le rôle d'une sorte de patriarche...


Oui... Ça a été un peu faussé dans la mesure où... Ah, c'est vrai que je ne suis pas censé parler de ce film !!! On a signé des papiers, cinq feuilles de textes, stipulant qu'on ne devait pas discréditer le film dans les interviews ! Je ne sais pas ce qu'ils ont les Américains, ils avaient tellement peur... Enfin on en parle quand même, hein ? Ils ne me feront pas de procès j'espère...


Aux côtés de Valeria Bruni-Tedeschi et de Mathieu Amalric, vous apparaissez dans ce film comme une sorte de parrain du cinéma d'auteur français contemporain...


Jusqu'à il y a trois ans, j'ai travaillé avec des gens de ma génération. Et les jeunes tout à coup ont frappé à ma porte. Bruno Podalydes pour Le Mystère de la chambre jaune (2003), Sophie Fillières pour Gentille (2005), Sandrine Veysset, pour Il sera une fois (2005), Thierry Jousse pour Les Invisibles (2005)...

La nouvelle génération est différente des Sautet et tous ces grands patrons. Leur méthode est beaucoup plus légère... Il faut faire avec les moyens du bord, inventer. Je viens de finir de tourner La Question humaine, par exemple, de Nicolas Klotz. On a fait plein de choses imprévues parce qu'il ne pouvait pas avoir tout ce qu'il voulait... Et c'était un tournage délicieux...


En quoi votre collaboration avec ces cinéastes est-elle différente de celle que vous avez pu avoir avec des auteurs comme Marguerite Duras ?


Ce qu'on faisait avec Marguerite ce n'était plus vraiment du cinéma, c'était une telle ambiance, d'amitié, une confiance totale. Je la connaissais depuis 1968 quand on avait joué L'Amante anglaise au théâtre. Quand on a fait Détruire dit-elle, je parlais avec Nicole Hiss et Henri Garcin, et elle arrivait et disait "J'sais pas où mettre la caméra...". "Mets-la là, je lui disais, elle sera très bien."

Et puis Duras, c'était un peu en dehors de tout métier habituel. Elle le disait, "Moi je suis pas cinéaste." Elle a eu des surprises énormes. Le premier jour du tournage d'India Song (1975), on devait danser, on répète la scène, on parle, et quelqu'un met la musique et l'ingénieur du son dit "Ah non attendez ! Ou bien ils parlent et il y a pas de musique, ou bien il y a de la musique et ils ne parlent pas." Marguerite est restée pantoise. Elle a réfléchi une minute et elle a dit "Bon eh bien ils ne parlent pas". Et c'est comme ça que le film est devenu un film de voix off.


Qu'est-ce qui vous a amené à être acteur ?


J'ai toujours voulu faire du cinéma. De 8 à 18 ans, j'ai grandi au Maroc, où il n'y avait pas de théâtre et en rentrant en Europe, alors que j'étais très timide, complètement inhibé, le journal Arts m'a tendu la perche avec une annonce où était écrit "Voulez-vous savoir si vous pouvez être comédien ?" C'était un peu une arnaque, et je me suis retrouvé ensuite chez Tania Balachova. Un professeur (d'art dramatique) magnifique, elle m'a dégrossi, sorti de mes inhibitions et de ma timidité, propulsé hors de moi-même. J'ai mis longtemps à être à l'aise, cela dit, jusqu'à François Truffaut en 1968.


Que s'est-il passé avec lui ?

C'était sur le tournage de Baisers volés, il m'a donné deux pages la veille du tournage, il m'a dit "Improvise". Ça a été la délivrance. Ne jamais jouer les mots, jouer la situation, comme me l'a appris Tania Balachova. Chercher ce qu'il y a derrière les personnages, ce qu'ils représentent vraiment.

Je suis toujours étonné de pouvoir continuer à travailler. Je pense que ça tient au fait que je suis anglais, je m'adapte assez bien aux situations. Ce qui m'excite le plus, c'est d'inventer mon époque, pas d'assumer le répertoire. On m'a demandé plusieurs fois d'entrer à la Comédie-Française, j'ai toujours dit non. En revanche, j'ai très souvent adhéré à des expériences, avec des gens comme Marcel Hanoun, Marguerite Duras ou Samuel Beckett, qui inventent des choses complètement inédites.


Qu'est-ce qui vous a fait bifurquer à un moment donné, et jouer dans des grandes productions internationales ?


J'aime beaucoup l'école anglaise de jeu. Ils jouent tout, toutes sortes de rôles. En France on a tendance à vous classer. Après Le Nom de la rose on m'a proposé des rôles de religieux. J'ai fait toute la gamme ! J'ai fait curé de campagne, curé de paroisse à Paris, cardinal, évêque, pape. Je suis monté en grade avec Josiane Balasko, en devenant l'ange Gabriel dans Ma vie est un enfer, et puis la voix de Dieu le père, je sais plus où... Il faut passer son temps à échapper.

J'ai fait Moonraker, un James Bond, parce que j'aime bien être là où on ne s'attend pas à me voir. On me disait toujours "Tu fais pas de films commerciaux", alors j'ai dit "Vous allez voir !" Cinq cents millions de spectateurs, c'est pas mal...




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Festival Côté court, du 31 mars au 9 avril.
Rencontres avec Michael Lonsdale : Michael Lonsdale chez Marcel Hanoun, le samedi 8 avril à 17 heures en présence du réalisateur. Soirée Michael Lonsdale (7 films), samedi 8 avril à 20 heures, en présence de l'acteur.
Ciné 104, 104, avenue Jean-Lolive, Pantin (Seine-Saint-Denis). Métro Eglise-de-Pantin. Tél. : 01-48-46-95-08. Entrée : 3,50 € à 5 €. Carte 3 séances : 7 € à 10 €. Carte permanente (hors nuit du court) : 25 € à 35 €.



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Glenn Gould est célèbre pour ses interprétations de la musique pour clavier de Jean- Sébastien Bach. Il a aussi été critiqué pour son comportement d'excentrique délibéré. S. Timothy Maloney, directeur de la Division de la musique de la Bibliothèque nationale, propose une explication du comportement peu conventionnel de Gould; il a partagé quelques conclusions de ses recherches lors du séminaire de décembre de la série SAVOIR FAIRE de la Bibliothèque.

Dans son livre Glenn Gould: The Ecstasy and Tragedy of Genius, le psychiatre américain Peter Oswald suggère qu'une partie du comportement de Gould, apparu à la fin de son enfance et durant son adolescence, ressemblait à la condition appelée syndrome d'Asperger (SA), une variante de l'autisme. Intrigué par cette idée, M. Maloney a examiné la littérature et les archives sur Gould durant les deux dernières années, pour recueillir des anecdotes sur son comportement, durant sa vie adulte en particulier, et déterminer s'il avait les caractéristiques du SA. S'étant d'abord lui-même familiarisé avec les recherches sur le syndrome d'Asperger, M. Maloney a ensuite dressé une liste composite de dix critères à la lumière desquels il a examiné les anecdotes recueillies dans le cadre de ses recherches sur Gould. Il a présenté de nombreux exemples illustrés par des photographies, des descriptions de comportement et des déclarations de parents et connaissances, ainsi que de Gould lui-même, toutes illustrant clairement en quoi le comportement et l'apparence uniques de Gould correspondaient à chacun des points de sa liste.


Voici quelques-uns des symptômes de la maladie et des anecdotes montrant comment Glenn Gould les manifestait.

Caricature de Gould jouant du piano ©The Toronto Star Syndicate Certaines personnes souffrant du syndrome d'Asperger démontrent une extrême sensibilité de tous leurs cinq sens, alors que d'autres sont hypersensibles pour certains et hyposensibles pour d'autres. M. Maloney a présenté des preuves anecdotiques claires démontrant que Glenn Gould était hypersensible au toucher, à la vue et à l'ouïe, et hyposensible au goût et à l'odorat. Ces réactions anormales aux stimuli sensoriels expliqueraient son habitude de trop se vêtir (au point de porter un pardessus, un tricot, une écharpe et un bonnet de laine même durant les jours les plus chauds de l'été), sa préférence pour les jours gris et tristes plutôt que les journées ensoleillées, et sa diète toute en douceur et en fadeur : œufs brouillés, roties, salade et biscuits à l'arrow-root.

Chaise de piano de Glenn Gould Les choix vestimentaires et diététiques de Gould sont aussi des exemples de son obsession pour les routines et rituels immuables, une autre caractéristique manifestée par les autistiques. L'auteur Andy Kazdin a remarqué que « …pour Gould, il y avait une routine pour tout. C'était comme si la répétition constante de certains rituels lui permettait de se sentir en sécurité. » En tournée, un sentiment de déracinement aurait souvent causé l'annulation de concerts causée par des malaises réels ou imaginaires. Même ses choix de musique et de film étaient assujettis à son besoin d'uniformité. Il écoutait des sélections musicales encore et encore pendant des mois, ou regardait un film 40 ou 50 fois. Ses rituels incluaient le trempage de ses bras (dans de l'eau tellement chaude qu'elle laissait sa peau écarlate) avant un spectacle et son refus bien connu d'abandonner la chaise pliante que son père avait adaptée pour son usage, même quand l'usure et les déchirures l'avaient réduite à un cadre (sans siège) grinçant et bancal tenu ensemble par du ruban isolant, des cordes de piano, de la colle et des vis.

Les victimes du SA ont en général beaucoup de difficulté à manifester un comportement socialement acceptable. Dès la petite enfance et durant toute sa vie, Gould eut des difficultés au niveau social. L'école fut une expérience malheureuse; on dit qu'il comptait chaque seconde jusqu'à l'heure du dîner. Il vécut ses premières années comme un solitaire au tempérament violent. Adulte, on retrouve plusieurs exemples de son manque de courtoisie fondamentale (comme téléphoner aux gens au milieu de la nuit), et son manque de sens commun quand il conduisait, gérait son argent ou prenait soin de sa propre santé. Pour ce qui est de sa musique, il était décrit comme inflexible quant à son choix des répertoires et des tempos. Sa fascination pour la technologie et les animaux fournit une autre indication de son SA : les deux étaient des exutoires qui lui permettaient d'éviter l'interaction humaine.

Tout aussi typique des individus souffrant du SA, Gould démontrait des mouvements anormaux : une démarche bizarre, une posture médiocre, de la maladresse, des mouvements stéréotypés répétitifs tels que se bercer, fredonner et battre la mesure au clavier et ailleurs. Monsieur Maloney a suggéré que les gestes de direction d'orchestre de Gould pouvaient être considérés comme l'équivalent du battement des mains chez d'autres victimes de l'autisme. Il croit que puisque ces gestes étaient si omniprésents, ils étaient peut-être une réaction physique incontrôlable à la musique qu'il écoutait constamment dans sa tête. Alors que le SA nuit aux capacités motrices en général, ceux qui en sont affligés peuvent en même temps démontrer des talents moteurs particuliers hautement développés, tels ceux utilisés par le dessin, la peinture et les instruments de musique. M. Maloney a mentionné des commentaires de plusieurs critiques musicaux bien connus illustrant clairement leur stupéfaction devant la technique de Gould au clavier.

L'une des différences majeures entre l'autisme infantile et le syndrome d'Asperger est le moment de leur apparition respective. Contrairement à l'autisme infantile, le SA est souvent peu évident avant l'âge de trois ans. Les anecdotes recueillies suggèrent que la petite enfance de Gould fut normale. Plus tard cependant, on sait qu'il a souffert de plusieurs problèmes de santé chroniques caractéristiques des victimes du SA, tels que des problèmes gastro-intestinaux et des affections des voies respiratoires supérieures.

Le syndrome d'Asperger présente aussi certains avantages pour ses victimes, comme la capacité de traiter simultanément un grand nombre de données et d'en retenir les détails pendant des périodes de temps indéfinies. Beaucoup ont observé que Glenn Gould avait une mémoire musicale photographique, lui permettant de se souvenir de quantités impressionnantes de partitions musicales et de créer à volonté des transcriptions pour piano d'œuvres d’opéras et d’orchestres. Sa mémoire auditive lui donnait le ton juste et sa mémoire kinesthésique lui permettait de revenir à une œuvre musicale des années après sa dernière interprétation, et de la jouer parfaitement. De telles prouesses de mémoire sont caractéristiques des capacités des autistiques.

Glenn Gould - Source : www.glenngould.com La masse critique de preuves anecdotiques recueillies par M. Maloney l'ont convaincu que, loin d'être délibérément excentrique et d'alimenter la controverse uniquement pour attirer l'attention ou vendre plus de disques, Glenn Gould a été poussé par l'autisme vers cet étrange comportement et la réclusion qu'il s'était imposée. Il pense que si le syndrome d'Asperger avait été mieux connu durant la vie de Gould, il aurait reçu plus de soutien pour l'aider à en supporter les effets. Si l'autisme de Gould avait été rendu public, les critiques se seraient probablement plus concentrés sur ses interprétations musicales que sur la critique de son maniérisme en public.

M. Maloney a terminé sa causerie en déclarant: « Glenn Gould mérite notre profonde sympathie pour s'être si bien débrouillé, et notre profonde admiration pour avoir développé et mis en œuvre, face à l'incompréhension et à l'opprobre générales, tant de techniques pour s'en sortir sans l'intervention ni le soutien des autres. Indépendamment de ses réalisations professionnelles uniques, ses réalisations personnelles représentent un véritable triomphe de l'esprit. »

Pour en apprendre plus sur Glenn Gould, consultez le Fonds d'archives Glenn Gould sur le site Web de la Bibliothèque Nationale du Canada à l'adresse www.gould.nlc-bnc.ca

sujet de Martin Ruddy, Bibliothèque Nationale du Canada
Publié avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque Nationale du Canada

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